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17 février 2021 3 17 /02 /février /2021 11:13

Auréolé de ses 72% de suffrages exprimés à la présidentielle et du prestige que lui donne sa qualité de professeur des universités en droit constitutionnel, le président SAIED, dont l’intégrité et la haute autorité morale sont unanimement reconnues, a tenté d’imposer une lecture de la constitution qui lui aurait donné le pouvoir d’intervenir dans la nomination des ministres. (1)

Pour parvenir à ses fins, le président SAIED, à l’occasion d’un remaniement ministériel qui a eu lieu en janvier 2021, a refusé de recevoir la prestation de serment des nouveaux ministres, mettant en cause la probité de certains d’entre eux, parlant de conflit d’intérêt et de corruption.  

Ne pouvant se montrer plus précis, le président a très vite abandonné cette voie, lui en préférant une autre qu’il connaissait mieux, celle de la constitution. Il pensait pouvoir y puiser le moyen de fonder sa fin de non-recevoir, d’autant qu’il suggérait, qu’en tant que président de la République et en l’absence de cour constitutionnelle, il était le mieux à même d’interpréter le texte fondamental.

*

Cependant, le chef du gouvernement, Hichem MECHICHI, nullement impressionné par l’aplomb présidentiel et soutenu par la majorité parlementaire, a mis en demeure le président SAIED de désigner les ministres mis en cause et de dire ce qui leur était reproché, de même qu’il lui a demandé de dire ce qui lui paraissait non conforme à la constitution dans le remaniement opéré.

Surpris par cette réaction, ce ne sera qu’un mois plus tard que le président manifestement embarrassé lui répondra officiellement, dans une lettre datée du 15 février, qu’il l’avait informé sur la mise en cause des ministres, sans plus de précision et le renvoyait pour le surplus à l’instance anticorruption. 

Sur le caractère inconstitutionnel des nominations objet du remaniement, le président a indiqué dans sa lettre que c’est l’article 92 (2) qui aurait dû s’appliquer et non l’article 89 (1). Qu’il n’y avait donc nul besoin de solliciter la confiance de l’assemblée des représentants du peuple et qu’il aurait dû être statué sur le remaniement, en conseil des ministres (3).

Une position singulière, dans la constitution de 2014, c’est l’article 89 qui régit la nomination des ministres(1), l’article 92 concerne l’organisation et les compétences des départements ministériels et la cessation de fonction d’un ou de plusieurs membres du gouvernement. (2)

Ni la dénonciation d’actes de corruption, ni l’interprétation de la constitution, ne devait permettre au président SAIED d’infléchir la position du chef du gouvernement qui, coïncidence ou non, démettait de leurs fonctions, le jour même de la réception de la lettre présidentielle, cinq ministres que l’on disait proches du chef de l’état. Il répartissait ensuite les compétences ministérielles laissées sans attributaires, entre les ministres en exercice, mettant ainsi fin à la situation créée par le refus de recevoir la prestation de serment.

*

Notons que la lettre du 15 février que le président a adressée au chef du gouvernement est une lettre manuscrite, invoquant la nécessité pour le pouvoir politique « d’exprimer la volonté réelle du peuple » ajoutant que la prestation de serment avait un impact dans la vie mais aussi « le jour du jugement dernier ».  Une façon par des formules générales, sans application juridique directe, de siffler la fin de la partie, une partie qu’il reconnaissait par la même avoir perdue.

D’ailleurs les observateurs ont noté, et ce n’est pas anecdotique quand on commence à cerner la personnalité du président SAIED, que la lettre adressée au chef du gouvernement  a été datée de l’un des mois du calendrier de l’héjire, « rajab al assam » ce qui signifie le mois de rajab le sourd, mois pendant lequel on s’interdisait de faire la guerre…Une façon élégante de mettre fin aux hostilités

 

(1) L’article 89 de la constitution dispose : « Le Gouvernement se compose du Chef du Gouvernement, de ministres et de secrétaires d’État choisis par le Chef du Gouvernement, et en concertation avec le Président de la République en ce qui concerne les ministères des Affaires étrangères et de la Défense. (…)Dans le cas où le Gouvernement obtient la confiance de l’Assemblée, le Président de la République procède sans délai à la nomination du Chef du Gouvernement et de ses membres. Le Chef du Gouvernement et les membres du Gouvernement prêtent, devant le Président de la République, le serment suivant : « Je jure par Dieu Tout-Puissant d’œuvrer avec dévouement pour le bien de la Tunisie, de respecter sa Constitution et ses lois, de veiller à ses intérêts et de lui être loyal.»

 (2) L’article 92 de la constitution dispose :: « Relèvent de la compétence du Chef du Gouvernement :

- la création, la modification, la suppression des ministères et secrétariats d’État, la détermination de leurs compétences et de leurs attributions, après délibération du Conseil des ministres ;

- la cessation de fonction d’un ou de plusieurs membres du Gouvernement ou l’examen de sa démission, et en concertation avec le Président de la République en ce qui concerne le Ministre des Affaires étrangères ou le Ministre de la Défense »

 

(3)Selon le président SAIED, l’article 89 n’étant pas applicable, les ministres objet du remaniement n’avaient pas à demander la confiance à l’ARP. Le président ajoutait que selon l’article 92, le remaniement aurait dû être délibéré en conseil des ministres, que ne l’ayant pas été, il est inconstitutionnel.

Même si l’on adoptait cette façon de voir les choses, et qu’un remaniement ministériel ne nécessiterait pas la confiance de l’ARP, on aboutirait à une totale incohérence dans l’application des dispositions constitutionnelles. Il serait aisé en effet pour un chef de gouvernement de se passer de l’aval de l’ARP voulu par les constituants de 2014 et contenu dans l’article 89. Il suffirait, après avoir obtenu la confiance de cette dernière au moment de la formation du gouvernement, de  modifier ensuite sa composition à souhait selon le bon plaisir du chef du gouvernement pour avoir les ministres qui lui conviennent le mieux, sans que l’ARP ait son mot à dire.

De toute façon, quand bien même cette formalité ne serait pas obligatoire, on ne voit pas en quoi, le fait d’avoir sollicité et obtenu la confiance de l’ARP, vicierait les nominations ministérielles. 

De même l’exigence selon le  président SAIED de statuer sur le remaniement en conseil des ministres, ne changerait pas grand-chose quand bien même cette formalité n’aurait pas été accomplie. Il suffirait de recommencer la procédure, cela prendrait plus de temps, mais on aboutirait au même résultat. 

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