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6 février 2021 6 06 /02 /février /2021 07:48

Afin de protester contre le fait qu’il n’a pas été associé à la désignation des douze ministres objet du remaniement du mois de janvier 2021, le président SAIED a déclaré  à l’occasion du conseil de sécurité qui s’est tenu au palais de Carthage le 25 de ce même mois, qu’il refusait de recevoir la prestation de serment des nouveaux ministres.

Il indiquait que certains d’entre eux étaient concernés par « des soupçons de conflit d’intérêt », mais il ne donnait aucune précision, ni sur les griefs qu’il formulait, ni sur les ministres mis en cause.

Se rendant certainement compte de la vanité de telles allégations d’ordre pénal, sur lesquelles seule la justice peut se prononcer, le président SAIED a changé son fusil d’épaule.

Il affirme désormais que les nominations ministérielles ne sont pas conformes à la constitution sans donner, ici encore, plus de précision.

La loi fondamentale paraît pourtant assez claire en ce qui concerne la procédure de nomination des ministres. Après avoir été choisies par le chef du gouvernement, les personnalités proposées à la fonction ministérielle ont fait l’objet d’un vote conforme de la part de l’assemblée des représentants du peuple, en application de l’article 89 de la constitution.*

Une position par conséquent surprenante du chef de l’Etat, car on ne voit pas très bien ce qui, dans la procédure de nomination, est contraire à la constitution.

Mais si l’on y réfléchit bien, le fait de soulever l’inconstitutionnalité des nominations, sans avoir même à se préoccuper du bien-fondé du recours annoncé, est d’une redoutable efficacité dans la stratégie du président SAIED d’imposer son autorité face à l’assemblée des représentants du peuple, dont le président, M. Rached GHANNOUCHI, avait déclaré « que le rôle du président de la République dans la constitution de 2014 était purement symbolique ».

Et en effet, toute l’habileté de la position du président vient de ce que la cour constitutionnelle prévue par la constitution de 2014, pour statuer notamment sur les conflits de compétence entre le président de la République et le Premier ministre (art.101 de la constitution), n’a toujours pas été installée, certains de ses membres n’étant toujours pas nommés **. Ainsi, en l’absence de cour constitutionnelle, Il ne pourra pas être statué sur le grief d’inconstitutionnalité soulevé par le président de la République. ***

De la sorte, le président SAIED pourra se prévaloir d’attendre la décision de la cour constitutionnelle, à une date indéterminée, avant le cas échéant de recevoir la prestation de serment des nouveaux ministres, ce qui est tout à fait conforme à la règle de droit applicable.

* Précisons que l’article 89 de la constitution ne prévoit la participation du chef de l’Etat au processus de nomination ministérielle, que pour « les ministres et secrétaires d’Etat de la défense et des affaires étrangères, [qui sont] choisis par le chef du gouvernement, en concertation avec le Président de la République » Aucun de ces deux ministères n’étant concerné par le remaniement, l’intervention du président de la République dans le processus de nomination n’avait pas lieu d’être.

 ** La constitution, dans son article 148 alinéa 5, a prévu  que la cour constitutionnelle serait créée dans le délai d’un an après les élections législatives du 26 octobre 2014, soit au plus tard le 26 octobre 2015.

L’assemblée des représentants du peuple n’a pu se mettre d’accord pour désigner les quatre membres dont les nominations relèvent de sa compétence. (Quatre membres sont également nommés par le président de la République et quatre par le conseil supérieur de la magistrature).

*** La constitution de 2014 a bien prévu dans l’attente de la mise en place de la cour constitutionnelle une « instance provisoire chargée du contrôle de la constitutionnalité des projets de lois ». (loi organique du 18 avril 2014). Cette instance continue d’assurer sa fonction de contrôle de constitutionnalité des projets de loi, mais comme son intitulé l’indique, à l’exclusion des autres contrôles de constitutionnalité pour lesquels elle n’a pas compétence. L’instance provisoire a seulement étendu de facto sa compétence à l’occasion du décès en juillet 2019 en cours de mandat du président Beji Caïd Es Sebsi, pour constater la vacance de la présidence de la République.

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